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  • Posted on: 11 September 2015
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Interview de notre Père dans le Seigneur paru dans la revue « La Famille orthodoxe», no. 53 (Juin 2013).

« Le Christ est parmi nous! »

            Père, beaucoup de gens savent que le premier monastere orthodoxe roumain du Benelux (où, depuis plus d’un an habitent déjà quelques moniales) a été fondé grâce au sacrifice et au soutien matériel et spirituel de beaucoup de gens aimant Dieu à travers le monde, mais surtout d’un groupe de chrétiens rassemblés autour de vous et qui s’est constitué en véritable communauté. C’est un peu étrange qu’autour de l’église d’un monastère vive une paroisse si dynamique ! Comment tout cela a-t-il commencé ?

         Il s’agit d’une longue histoire et jusqu’à un certain point, elle est d’ordre personnel. De mon point de vue, tout cela a commencé il y a longtemps. Depuis le début, j’ai reçu, comme un don, la conscience du fait qu’un fil invisible me relie à toutes les personnes. J’ai toujours senti que quelque chose nous unit au-delà des apparences, des relations et des mots. Le fait que j’aie vécu mon enfance à la campagne où les liens entre les gens étaient, en général, plus profonds  - et les gens mêmes étaient plus profonds - a joué un rôle important à cet égard. En outre, j’étais aussi un passionné d'échecs, et j’aimais beaucoup la devise de la FIDE (la Fédération Internationale des Echecs) : «gens una sumus» («Nous sommes un seul peuple»). En ce sens, des années plus tard, j’ai apprécié John Donne, cité par Hemingway dans le titre de l’ouvrage «Pour qui sonne le glas» (For Whom the Bell Tolls?), qui dit la même chose: «La mort de tout homme me diminue, parce que j’appartiens au genre humain. Ainsi donc, n’envoie jamais demander pour qui sonne le glas: c’est pour toi qu’il sonne». 

 Mais tout était à un niveau superficiel car, à l’époque, je n’étais pas croyant et je n’imaginais pas que ce rêve de vivre avec des «étrangers» comme avec ma propre famille puisse être atteint.

Quand le Seigneur m'a amené à l'Église, j’ai commencé à lire le Nouveau Testament et les écrits des Pères de l'Église dans une perspective différente. Et parmi les nombreuses choses qui me réjouissaient, j’ai trouvé l'idée que j’ai mentionnée auparavant. Elle «flotte» dans tout le Nouveau Testament, mais est clairement exprimée dans la prière sacerdotale dans l'Évangile de Jean : « Que tous soient un, comme Toi, Père, Tu es en Moi et Moi en Toi, afin qu'eux aussi soient un en Nous» (Jean 17, 21) ou dans les Actes : « La multitude de ceux qui avaient cru n’avait qu’un cœur et qu’une âme» (Actes 4, 32). Et je me suis dit : L'Église est l'endroit où l’on peut accomplir ce désir: être plusieurs ensemble et vivre comme une seule famille, comme un seul homme !

         J’ai alors commencé à chercher comment vivre cela. Je ne sais pas pourquoi, dans un premier temps, le Seigneur m’a caché les endroits où les chrétiens essaient de vivre comme cela. En allant d’église en église et de monastère en monastère, je n’ai trouvé nulle part cet état d’âme que je cherchais, dont je rêvais; et je n’ai pas trouvé non plus la moindre préoccupation de rechercher cet état, cette condition. Ce n’était même pas vu comme un idéal à atteindre pour la vie chrétienne, car en faire la normalité et le quotidien de la vie chrétienne, cela était trop!  Peut-être que je ne regardais pas là où il fallait, même si je parcourais de milliers de kilomètres à la recherche de cette façon de vivre en communauté. Il y avait partout des sermons et des enseignements sur l’importance d’aller à l’église, comment jeûner, comment prier, comment faire des œuvres caritatives etc. Ou encore comment faire des expériences personnelles – mais individuelles! – de la vie chrétienne. J’étais attristé et déçu et je sentais que l’on manquait l’essentiel de la vie chrétienne. Il y avait une grande différence entre l’esprit de la communauté chrétienne décrite dans les Actes et celles que je rencontrais. Je me souviens qu'à un moment donné, j’avais confessé cette tristesse à mon père spirituel de l’époque. Nous étions dans un monastère «sérieux», avec de bonnes et vraies pratiques ascétiques, mais je sentais que, même là-bas, le fait de ne pas vivre l’unité en Christ entre les frères n’était pas une raison d’inquiétude. La réponse que j’ai eue était terrible: «Ce n’est que cela qui te préoccupe ?»

Pendant un certain temps je fus très triste. J’étais chez moi comme parmi des étrangers. J’étais convaincu de la sainteté de l'Église et que le salut n’est qu’en Christ, mais je ne comprenais pas comment les formes extérieures de la piété (le respect formel des normes de l'église, la pratique du jeûne etc.) pouvaient sauver l'homme. Je ne comprenais pas comment la lutte pour respecter les commandements du Christ et l'acquisition de vertus étaient devenues des buts en soi et n’étaient plus des Voies pour atteindre la fin véritable: l'acquisition de l'Esprit Saint et les fruits qu'Il apporte: l'amour fraternel, la bonté etc. Je n’arrivais plus à concevoir le paradis: j’avais compris celui-ci dès le départ comme Amour, comme communion, mais, après avoir été concentré beaucoup de temps sur ma relation avec MON Dieu, avec MON père spirituel, MA prière, MA liturgie et éventuellement ma relation avec certains frères (peu nombreux, mais bien sélectionnés selon des «normes de qualité  spirituelle»), qui allait pouvoir m’assurer qu’avec l'entrée dans l'éternité, comme de façon magique, je commencerais à aimer mon prochain ?

Mais le Dieu bon a vu cette quête intérieure et m'a envoyé de bons confesseurs, puis m’a donné le vénérable père Sophrony d'Essex, l'homme de Dieu qui a profondément changé ma vie. Grande lumière et grande joie! J’ai lu tous ses livres, je me suis nourri de ses enseignements et j’ai repris espoir que ce dont j’avais rêvé était possible sur terre. Père Sophrony parle beaucoup de la conscience adamique (nous sommes tous des frères en Adam, notre père), de l’importance de la théologie de la personne dans la vie spirituelle; dans des «Discours spirituels» il donne à la communauté monastique rassemblée autour de lui de nombreux conseils pratiques sur la façon selon laquelle devrait vivre une communauté chrétienne, fondée sur les principes évangéliques. Et j’ose dire que par sa propre expérience d’une vie sainte il enrichit les «directives» spirituelles concernant la vie en Christ données par le saint Apôtre Paul dans ses épîtres. Sa vie fut également une vie crucifiée entre l'amour embrasé de Dieu et le service à ses frères.

Peu après, le Seigneur m'a donné un père confesseur autour duquel commençait sa vie une petite communauté dans le genre de celle imaginée par moi, mais une communauté monacale; et je me suis de nouveau réjoui.

Après quelques années, je suis arrivé en Belgique, où j'ai été ordonné prêtre. Et j'ai continué de prier, avec plus d'audace encore, que le Seigneur m'envoie des gens qui reçoivent ma conception, avec lesquels je pouvais commencer à vivre ensemble des expériences par lesquels Christ veut autant nous récompenser, nous caresser, dès cette vie, un "appât" saint qui nous attire pour mettre plus d'effort à recevoir le Règne à venir!

Et le Seigneur n'a pas tardé à m'envoyer des frères et des sœurs, un par un. Des gens avec une grande volonté de dédier leur vie entièrement à Dieu, qui ont vite compris ce que Saint Séraphim de Sarov disait: le but de la vie est l'acquisition de l'Esprit Saint et toutes les formes de vie exprimées dans la vie ecclésiastique (prière, jeûne, iconographie) devraient y être circonscrites à un seul but ultime et ne devraient pas devenir un but en soi. Que dans l’Église, il n'existe pas de relativismes. Qu'on ne vient pas à l'Église pour un confort quelconque, mais pour apprendre la vérité sur soi et sur Dieu – en tant que prémices sans lesquels il n'est pas possible d'entamer la vie spirituelle, "en esprit et en Vérité". Que le père spirituel n'est pas nécessairement le prêtre chez lequel on va se confesser à plusieurs reprises, mais celui qu'on "assume" et qui nous "assume" dans le sens qu'on sent qu'il souffre ensemble avec nous les peines de notre naissance en Dieu, selon saint Paul. Que sans une vie de veille continuelle, d'ascèse, sans confession fréquente, il y a peu de chances d'avancer spirituellement et encore moins d'être sauvés. Qu'il n'est pas possible de pratiquer une sorte de "christianisme du dimanche" (dans le sens de nous rencontrer avec certaines personnes dont on connaît le prénom, qu'on salue, près desquels on prie, et… "à la prochaine" cessant ainsi toute autre communication.

J'ai eu la chance de recevoir en don autre chose, selon mon désir. Je suis donc persuadé que Dieu donne à l'homme tout ce qu'il Lui demande, s'il cela lui est profitable, et si l'homme est sincère et cohérent dans sa recherche.

- Comment est-on arrivé à vivre ce christianisme de dimanche?

S'il y a autant de chrétiens dont les vies sont épuisées de point de vue spirituel, s'il y a autant de gens qui vont à l'église mais sont seuls et tristes (et cela, non pas par leur propre choix), je crois que la responsabilité appartient en égale mesure à ceux qui guident spirituellement ces communautés. Ils devraient transmettre à leurs frères et sœurs une vraie image de la vie en Christ – en union, en s'efforçant d'apprendre à aimer – mais aussi à leurs paroissiens, qui ne s'efforcent plus de le faire et ne demandent pas plus de la vie en Christ (dont le dicton: "chaque paroisse a le prêtre qu'elle mérite"). J'ose même qualifier ces paroisses "impersonnelles", de "petites églises" (groupes de gens liés par le milieu social dont ils proviennent tous) semblables aux monastères idiorythmiques où il n'y a que des intérêts administratifs communs. Et je ne cesse pas d'attirer l'attention des frères et des sœurs que si on perd l'esprit d'union fraternelle en Christ, nous allons devenir une paroisse idiorythmique où chacun cherche "les siens", et où, même si on dit avant le Crédo " Le Christ est parmi nous", parfois, on ment. Si on croyait qu'Il était parmi nous, la liaison entre nous aurait été différente.

-Comment acquiert-on cette fraternité en Christ dont vous parlez ?

Je peux juste vous parler comment on le cultive nous, dans notre communauté. En partant du précepte des Saints Peres que "celui qui prie seulement lorsqu’il prie, celui-là ne prie point", je maintiens aussi qu’une simple relation "de dimanche" avec les autres membres de la paroisse n’est pas une vraie relation, j’entends, spirituellement fraternelle. Ainsi, dès le début de notre communauté (lorsque près de moi il y avait seulement quelques gens dont j’étais le père confesseur) mon souci a été de demander à ces frères et sœurs de se connaître, de se rapprocher entre eux. A cette époque-là j’étais prêtre dans la plus grande paroisse de Belgique, où il y avait beaucoup de monde, venu de tous les coins de la terre et il était difficile de réaliser cette union. Il était difficile de faire un rapprochement d’ordre communautaire dans ces conditions. Et on a commencé de se réunir chez certains d’entre nous, pour des bénédictions parfois, parfois pour des prières, pour un thé, mais surtout pour commencer de nouer une famille spirituelle. Et les choses se sont déroulées d’une belle manière, les frères ont commencé à se rapprocher, à se connaître et à s’aimer.

On a vite progressé en terme de nombre, et il était de plus en plus difficile d’être "contenus" dans une seule maison. Nous avons décidé alors de chercher une église pour commencer à vivre ce qu’on désirait de tout cœur. Nous avons vite trouvé une ancienne église catholique qui avait été mise en vente, mais nous n’avons pas réussi à l’acheter. Dieu nous avait préparé quelque chose de mieux!

En Roumanie, en fin de semaine, j’allais me "recharger" les batteries dans des monastères. Et en Belgique, je ressentais le même besoin. Ainsi, dès que j’ai été fait prêtre, j’avais demandé la bénédiction de mon Métropolite pour rechercher ce genre d’endroit, qu’on puisse acheter, dans l’espoir qu’à un certain moment, on arriverait à établir une communauté monastique. J’ai trouvé plusieurs tels endroits, mais à chaque fois il y a eu des obstacles et rien ne s’est concrétisé.

Toutefois, en janvier 2011, dès que j’ai reçu la réponse négative de la part de l’église dont l’acquisition j’essayais de finaliser, je reçus l’appel téléphonique d’une amie belge (orthodoxe), qui était au courant de mes recherches pour trouver un monastère, et qui demandait si j’’étais toujours intéressée. Car justement, il y avait un tel monastère mis en vente. Il appartenait à une ancienne communauté monastique catholique de rite byzantin. La Mère de Dieu a fait alors un miracle, car la personne désignée pour s’occuper de la vente avait déjà contacté les représentants de toutes les communautés orthodoxes de Belgique et personne n’avait montré d’intérêt ; ensuite, le monastère avait déjà été vendu à un promoteur immobilier, mais un obstacle "administratif" avait empêché la finalisation de cet achat. Et ‘par hasard’, la personne en charge de la vente a appelé notre amie belge qui m’a rappelé à ce sujet.

Nous sommes alors allés voir le monastère. À ce moment-là s’est passé quelque chose de ‘surréaliste’, car je me suis retrouvé à négocier au nom de la communauté des Roumains de Belgique, alors que je n’avais le soutien que de quelques-uns d’entre eux, mes proches. C’était une sorte de « folie » qui a continué, car au moment où j’ai présenté le projet – et surtout son montant – à mon Métropolite et à quelques collègues prêtres des paroisses roumaines de Belgique, on m’a dit que la somme était trop élevée, qu’étant données les contraintes auxquelles nous sommes soumis ici, en Occident, on ne pouvait pas espérer une aide financière de la hiérarchie. Chose absolument raisonnable, mais difficile à accepter dans notre enthousiasme. A ce moment-là, on a résisté à la tentation de l’acheter ensemble, un groupe d’amis, pour en faire don à une éventuelle paroisse. On ressentait tous l’attraction et le sentiment que ce serait dommage de perdre cette occasion divine. De plus, l'église du monastère était bâtie dans un style orthodoxe russe, malgré le fait que les anciennes moniales avaient été catholiques. C'était comme si tous leurs efforts (qu'on avait appris par la suite par la seule sœur vivante, sœur Monique. De grands, même d’énormes sacrifices pour Dieu, avaient été effectués dans la discrétion, par les moniales elles-mêmes, leurs familles et proches, d'autres habitants des alentours de Namur) avaient été accomplis pour que le monastère soient acquis par des orthodoxes. Les formes familières, orthodoxes, de l'église, nous parlaient. J'ai insisté alors auprès de mon Métropolite de venir voir l’endroit et de me donner la bénédiction d’annoncer à toutes les paroisses de Belgique une campagne de collecte de fonds à ce sujet.

Lorsque le Métropolite est arrivé, lui-même s’est enthousiasmé par ce qu’il a vu et a décidé de nous soutenir, en demandant aux paroisses belges de nous aider. Cela n’a pas été facile, étant donné le délai très serré pour collecter la somme. Mais par les prières de notre Métropolite et de plusieurs frères et sœurs, par le sacrifice de plusieurs croyants de Belgique et du monde entier, la somme a été collectée juste à temps. On a reçu l’aide de la Mère de Dieu et de Saint Jean le Russe (de Grèce) l’un des "amis" de notre communauté que l’on avait prié particulièrement, lors d’un pèlerinage, et auquel on avait promis de dédier le monastère s’il nous aidait.

Le premier miracle qu’on a vécu est d’avoir reçu les clés et on a fini de nettoyer (l’endroit n’avait pas été habité depuis deux ans) juste à temps, à quelques minutes près, pour le service des vigiles de la Fête de Saint Jean le Russe, le 27 mai 2011. Ensuite, une fois commencés les offices dans le monastère (mai 2011) par la communauté des laïcs (car les moniales sont arrivées six mois plus tard), nous avons œuvré à mettre aussi à cet endroit, dès le début, le fondement que je trouve essentiel à n’importe quelle communauté: l’esprit de la fraternité en Christ.

Parmi les plus importantes décisions en ce sens ont été, à part la prière, de manger ensemble le dimanche, après la Liturgie. La sainte Liturgie est la Cène divine; l’"agape" de la communauté est le partage d’un repas spirituel est. Partage du Christ et en Christ !

Pratiquement, plusieurs groupes de familles se sont constitués et, à tour de rôle, préparent le repas pour environ 100-150 personnes – moyenne des personnes qui assistent à la Liturgie chaque dimanche. Et il y a une atmosphère de grande joie, que j’aimerais entretenir et perpétuer. Les gens ne courent pas pour manger à la maison, mais ils ont du temps pour parler, se connaître, s’enrichir. Et se réjouir ensemble. Après l’agape, tandis qu’une équipe de bénévoles enseignent aux enfants, leur transmettant la foi orthodoxe (d’une manière ludique, différente de l'esprit contraignant des "écoles du dimanche"), je propose à ceux qui veulent et peuvent rester à une conversation qu’on appelle, selon un concept du Père Séraphin Rose, "cours d’autodéfense spirituelle". On discute librement sur de divers thèmes spirituels, je présente des livres importants pour chaque chrétien, car l’homélie et la confession ne sont pas suffisantes pour pouvoir ensuite former un esprit chrétien. En plus, on diminue le risque – inhérent dans la diaspora ! – de transformer la venue à l’église en une habitude qui vise plutôt à des échanges basés sur l’appartenance nationale (car j’ai remarqué une tendance d’aller à l’église pour voir des compatriotes qu'on n'a pas pu rencontrer autrement).

-Vous croyez que la Sainte Liturgie et l’agape sont suffisantes en tant qu’expression d’une communauté spirituelle?

Bien sûr que non. Il y a d’autres choses importantes. Dans notre paroisse, l’amour qu’on porte aux Saints des prisons communistes nous rassemble également. Et je crois que ces saints peuvent constituer pour nous des modèles extraordinaires. Radu Gyr, le grand poète emprisonné, écrivait : "en prison, j’ai appris à vif ce que véritablement veut dire être chrétien!". Et je crois que c’est entre ces deux coordonnées – à vif et véritablement – que se passe le drame de la vie et de la mort de plusieurs des prisonniers du communisme. Et en vérité, je suis convaincu que c’est entre ces deux nuances que se joue la mise de notre salut, du passage du stade moral à celui, spirituel, de la vie chrétienne. Ce que je trouve impressionnant aussi chez les Saints des prisons communistes roumaines est aussi leur esprit de sacrifice, et je me réjouis de la bonne compréhension de l'importance du fait que c’est seulement par le sacrifice que l’on peut poser un bon fondement. Sans sacrifice, rien n'est possible. Il y a beaucoup de choses que j'ai vécues avec mes frères et sœurs, choses dont je me suis réjoui et qui ont été pour moi sources d’humilité, mais je ne vais pas les mentionner, pour ne troubler l'état spirituel de personne.

En deuxième lieu, je vous disais que depuis le début je souhaitais nous rapprocher les uns des autres du point de vue spirituel et j’avais donc proposé aux frères une rencontre pour prier ensemble, la prière dite « de 23 heures » (lheure de Roumanie). La parole ‘rencontre en prière’ est très forte, mais essentiellement parlant, j’avais en vue les paroles de notre Seigneur : ‘Là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis au milieu d'eux’. Comme, entre-temps, plusieurs d’entre nous se sont mariés et il est alors plus difficile de respecter une certaine heure, j’ai dit que cette heure de 23 heures pourrait être une heure générique. Il faut néanmoins se rassembler devant le Seigneur chaque soir, chacun là où on se trouve. Il faut dire un peu la prière de Jésus et la prière d’union autour du père confesseur du Père Sophrony d’Essex, où on nomme tous ceux qui sont autour de notre communauté. La prière qui contient l’essence même de l’idée de l’union: ‘fais de nous véritablement une confrérie, en vivant comme un seul cœur, d’un seul amour, comme un seul homme, selon Ton conseil celui d’avant les siècles pour Adam, le premier né’.

Ensuite, à chaque fois que quelqu’un de nous ou de notre famille traversait une difficulté, je leur demandais de me l’annoncer et nous nous engagerons tous à faire une prière (en général, on se partageait quelques nuits, vu que nous étions nombreux, et nous nous partagions le Psautier de manière à le lire incessamment). De cette manière, à la suite de ces expériences, le Seigneur nous a réjoui plusieurs fois par des miracles, pour renforcer notre foi.

En partant de l’idée de la règle de prière commune et inspirée par ce que j’avais lu des vies des Saints des prisons communistes, comme ils priaient même dans des conditions de détention, j’ai proposé à notre communauté de faire à chaque commencement du mois une ‘chandelle’ de la prière. Concrètement, j’avais proposé, autant de nuits qu’on le pouvait, de choisir une heure pendant laquelle on priait – pour eux et leurs familles, pour la communauté, pour le monde, en essayant de ne pas laisser la prière s’éteindre plusieurs nuits. Lorsqu’on terminait son heure de prière et que l’on allait se coucher, un autre se réveillait et allumait sa ‘chandelle’. Cela nous a apporté beaucoup de joie et nous a rapproché du Christ, car il y a beaucoup de don de l’Esprit Saint ces nuits-là, où on se sent responsable pour chacun de nos frères de notre communauté, de nos frères chrétiens qui dorment à cette heure-ci en étant, peut être, le seul qui se trouve devant Dieu au nom de tous.

 Et – ce n’est pas moindre - pour nous mettre à l’abri du péril de l’égoïsme individuel et de l’égoïsme de communauté (car on reste toujours dans une forme d’égoïsme si on pense seulement à ‘nous’, même si on est plusieurs, notre communauté) et pour élargir nous aussi nos cœur selon Saint Paul, nous avons commencé à transmettre à nos proches en Seigneur les messages que je recevais des amis du monde entier avec des demandes de prières pour des gens qui ont particulièrement besoin d’être commémorés devant le Seigneur dans la prière. Et il me semble que l’on a ainsi une chance extraordinaire – de nous faire co-travailleurs avec Dieu pour que Sa volonté se fasse dans la vie de quelqu'un, en commençant ainsi de cultiver en nous une conscience ‘adamique’ tout comme je le mentionnais au début. De plus, de cette façon on réalise qu’en comparaison avec les souffrances d’autres gens, nos petits bobos sont insignifiants.

-Père, pour résumer: qu’est-ce que doit, qu’est-ce que devrait, être une paroisse ?

Personnellement, je suis totalement d’accord avec la vision de Mgr Hiérotheos Vlahos. Chaque homme éloigné de Dieu est un malade, spirituellement parlant. La paroisse est un ‘hôpital spirituel’, le but de sa constitution étant unique, à savoir, la guérison spirituelle de ses membres, la sanctification, la déification de ceux qui la forment. Tout autre but, d’ordre national, politiquement-ecclésial ou social représente une dénaturation de la vraie idée de paroisse. Et, malheureusement, en Occident, il y a beaucoup de tels contre-exemples. Bien qu’on se soit habitué aux images des paroisses qui constituent un ‘rassemblement de gens qui viennent à la même église (bâtiment)’ (‘idiorythmiques’, l’appellerais-je), la chose est plus grave qu’il ne paraît. Car chaque prêtre, chaque paroisse sans une telle vision, confisque à ses membres la chance de comprendre correctement ce que l’Église peut leur offrir, et il faut tenir compte de l’emprise que peut avoir sur eux une telle grave illusion qui a pour résultat de tenir le chrétien loin de Dieu.

La paroisse est une grande famille, rassemblée autour d’un père spirituel, en ayant en son centre Christ et en luttant pour guérir des passions en accomplissant les commandements par l’obéissance au père confesseur. Et le père-prêtre doit être le médecin de cet hôpital.

Il est du devoir du père spirituel d’imprégner ceux des ces membres de la communauté qui veulent effectivement vivre selon la pensée de l’Église, de l’idée de ‘partager’ Seigneur dans une compréhension correcte, orthodoxe. De les aider à comprendre qu’il n’existe pas de chrétien adogmatique, non-ecclésial et non-ascétique (selon Père Sophrony). Il faut qu’il les aide à former une conscience chrétienne universelle, à l’aide de laquelle chacun devient conscient que tant les œuvres de charité que les péchés qu’il commis ont des répercussions sur sa famille spirituelle et sa famille naturelle et, en fin de compte, sur le monde entier. 

Comment voyiez-vous l’avenir de votre communauté ?

Je n’en projette aucun. Ce qui est important c’est le présent. Pour lequel je suis entièrement reconnaissant à mon Métropolite et à mes frères et sœurs parmi lesquels le Seigneur m’a placé et par l’intermédiaire desquels Il m’a donné tout cela. J’ai la conscience que ce n’est pas pour nos mérites, mais pour nos innombrables fautes que le Seigneur nous accorde de tels dons.  

Mon devoir est de vivre aujourd’hui sans péché. Et s’il arrivait que demain tout finisse, pour une raison quelconque, je resterai avec une grande joie: celle de savoir qu’on peut vivre  dans cette vie ce genre de rapprochement, cette communion avec les frères en Christ. Que cet état, auquel j’ai tant rêvé autrefois, il est réalisable. Que tout peut être fait, en notre Seigneur Christ notre Dieu, Celui qui nous donne toute force.

Tout – en Christ!  

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