Rencontre avec sœur Monique - 18 mars 2012
Père Ciprian : Nous avons aujourd'hui l'occasion d'une rencontre avec sœur Monique, l’une des sœurs qui ont fondé ce lieu de prière, de sacrifice, ce lieu que Dieu pour Ses raisons a trouvé bon de nous le donner. Nous sommes très reconnaissants et heureux de l'avoir aujourd'hui parmi nous. C'est très important de savoir comment tout à commencé ici. Nous nous sommes retrouvés dans un endroit sans connaître l'histoire et je pense que, humainement, chrétiennement, la façon correcte de vivre dans un tel endroit commencerait peut-être à partir de ses origines. On va vous demander de nous parler un peu de l'histoire de cet endroit, de votre communauté...
Sœur Monique : Mère Colomba qui était dans l'abbaye bénédictine de Liège a été envoyée à Chevetogne – à Béthanie, en dehors du monastère des hommes - en 1957 pour voir si parmi les jeunes filles qui étaient là-bas il y en avait qui promettaient pour la vie religieuse. Moi, j'étais depuis 1958 là-bas. J’enseignais à Liège, j'étais professeure à Rochefort. Je voulais porter l'habit religieux mais mes parents se sont opposés, je ne voulais pas les abandonner, j'ai dû patienter pendant huit ans. Mais je l'ai fait quand-même parce que je ne voulais pas les brusquer et alors, après huit ans, ils ont accepté. Et je suis donc entrée à Chevetogne en 1969. J'avais 31 ans. Mais j'ai continué néanmoins à enseigner à l'État parce que j'étais dans un lycée d'état, j'ai continué à enseigner malgré tout. J'étais donc à Béthanie et j'enseignais tous les jours à Rochefort. Je n'ai pas toujours été bien accueillie mais ils ont fait une exception ; moi j'étais contente, je me plaisais bien à Rochefort.
En 1969, au mois d’août, nous avons décidé, suite à des difficultés avec Chevetogne, à partir et venir nous installer à Namur où il y avait un père jésuite qui nous connaissait bien, qui pouvait célébrer la liturgie en russe et nous étions invitées à assister à la liturgie, de chanter avec eux. Nous avons trouvé une maison à louer à Namur avec un petit jardin. Nous avons pu y aménager une petite chapelle car le frère de mère Colomba qui était dans les construction a essayé de nous bâtir une petite chapelle. Évidemment, il fallait gagner sa vie, il fallait vivre – moi je continuais à travailler comme professeure, tandis que sœur Pascale faisait des ménages chez des familles ; on avait une sœur anglaise, Véronique, qui était infirmière et qui a aussi trouvé une place à Gembloux dans un hôpital, à mi-temps. Je l'amenais tous les jours à la gare de Gembloux pour cela et elle était infirmière dans un petit hôpital. Une autre sœur, Mathilde, qui était irlandaise et avait des problèmes avec les yeux travaillait dans la cuisine, on a eu aussi une autre jeune fille qui était professeure, elle était malade et elle n'est pas restée. On était donc cinq. Une autre était aide familiale, elle a gagné sa vie comme cela. On cherchait encore une maison près de Namur mais on n'a pas trouvé, c'était trop cher, c'était trop petit, c'était trop loin. Et le frère de mère Colomba qui travaillait dans la construction nous a dit que si l’on trouve un terrain, il nous aidera peut-être à faire quelque chose avec les anciens ouvriers.
Nous nous sommes constituées en ASBL (association sans but lucratif) en 1972. Si on nous faisait un don, il fallait pouvoir se justifier de ce don, ce qu'on a fait avec. Alors, donc on a cherché un terrain. Sœur Mathilde, qui ne voyait presque plus, a fait une neuvaine (neuf jours de prière) et, à la fin de la neuvaine, elle nous a dit : « Mère Colomba, on prend la voiture et on va voir ! » Nous avons pris la route qui menait à Saint Marc. Nous avons rencontré quelqu'un et nous avons demandé s'il connaissait des terrains à vendre dans la région. Il a répondu : « Non, tout est vendu, mais le monsieur qui est là sous son tracteur est un baron, son père a des terrains à Vedrin, peut-être qu'il pourrait vous en vendre un ». Nous sommes donc aller trouver le monsieur sur son tracteur et il nous dit : « Oui, mon père a des terrains, je vais vous les montrer ». Puis il est venu nous montrer quelques terrains par ici, mais c'était des 'zones vertes', pendant dix ans on ne pouvait pas construire. Il fallait une permission spéciale.
Alors nous avons été trouver le père du baron dans son château et nous lui avons dit qu'on aimerait bien avoir le terrain ici, mais qu'il nous fallait une permission pour construire. Il nous a donné exactement trois semaines de repli pour trouver une solution. Nous nous sommes renseigné ; il fallait contacter un certain ministre et avoir son autorisation. Mais comment ? Nous ne le connaissions pas. Alors que nous étions à Namur, un monsieur vint nous visiter, qui nous a dit que si jamais nous avons un problème, il nous donne son numéro de téléphone. Nous appelons son numéro son numéro et on nous dit : « Il a eu un accident, il est plâtré, mais il revient lundi ». Nous lui avons téléphoné à nouveau et il nous dit qu'il a un ami qui est lui-même ami de ce ministre. Et cinq jours après, nous avons reçu la permission de construire soit un monastère, soit une ferme. Il nous restait un jour pour aller chez le baron et lui dire oui. C'était une merveille que le Seigneur a fait ! C'était en 1976.
On a posé les fondations, il faisait très sec, je me rappelle que c'était une terre argileuse. Le monsieur qui nous aidait a été écrasé par sa machine. Nous voulions construire tout d'abord la chapelle. On a donc commencé à bâtir la chapelle et, après, nous avons fait toutes les fondations, mais c'était tout d'abord la chapelle qui était la plus importante pour nous. Je sais qu'une après-midi j'ai descendu 80 brouettes de terre pour les fondations de la chapelle.
Après ça nous voulions construire le monastère, mais nous n’avions les fonds que pour la chapelle. Nous nous sommes posé la question: « Qu'est ce qu'on fait ? Il faut faire un toit, même provisoire ». C’est alors que nous avons reçu un don d'une amie qui travaillait depuis longtemps au Congo, qui était médecin chirurgien. Elle nous a fait un don qui nous a permis de faire toute la construction, sans toutefois l’aménagement intérieur. Il fallait vivre sans rien à l’intérieur. Par exemple, dans cette salle (la grande salle à manger, la salle des conférences) nous étions quatre à dormir, avec des cloisons et une table. Et deux autres étaient dans deux autres pièces. On était six en tout. C'était en 1979, donc trois ans après.
Puis on a pu faire les chambres au premier étage, mais il n’y avait ni portes, ni salles de bain, ni rien. Tout ce bois que vous voyez à l’intérieur a été posé par un cousin de mère Colomba qui pendant dix ans (dix ans!), chaque samedi, venait avec sa femme de Bruxelles pour posertout le bois. Ils ont tout fait, dans toute la maison. Tout ce qui est en bois a été fait par le cousin et sa femme. Et les plafonds aussi. Ils ont tout fait, les couleurs aussi, c'était eux qui ont fait la peinture. En outre, ils apportaient leurs repas aussi à chaque fois pour ne nous pas faire des dépenses.
Alors, c'est ainsi que nous sommes arrivées ici, providentiellement.
Et quand on voulait vendre notre monastère (vous l’avez su, je le crois, par Mme Andrée), quand vous avez appelé Mgr Gryson, nous étions occupées avec un promoteur qui voulait faire ici une maison familiale – quelques appartements et maisons à côté. Nous n'étions pas d'accord et avons refusé. Cela convenait à r un monastère, une maison communautaire et c'est grâce à ça que vous avez pu avoir ce lieu. Et moi je remercie le Seigneur tous les jours que ce soit vous qui êtes là.
Père Ciprian : Et concernant votre vie ici, pendant les années de calme, qu'est-ce que vous pouvez nous dire ?
Sœur Monique : Nous nous levions tôt. Moi, je commençais mes cours à l'école parfois à 7h du matin, je ne voulais pas enseigner l'après-midi, aussi, il fallait tout faire de très tôt le matin, préparer des feuilles dactylographiées etc. Je préparais cela de 7h00 à 8h20 et à 8h20 je commençais les cours. Il fallait donc faire les offices très tôt, on commençait à 5h00 du matin avec les matines et les laudes. Lorsque nous étions malades on lisait les Heures dans notre chambre. C'est cela que mère Colomba a fait vers la fin de sa vie car elle ne pouvait plus se lever du lit. Pendant 5 ans et 8 mois elle n'a pu rien manger, ni boire, elle était soignée au lit. Elle avait une sonde dans l'estomac et il fallait lui mettre un liquide spécial. Mais quand on demandait comment ça allait, elle s'était jamais plainte. « J'attends », elle disait. « Oui, vous attendez l'appel du Seigneur, mais je souhaite qu'Il ne soit pas très pressé, car je n'ai pas encore fini ma comptabilité », lui disais-je moi-même. J'avais installé tout le bureau dans sa chambre, elle m'enseignait la comptabilité pour pouvoir continuer avec l'administration du monastère. Moi je dormais dans la même chambre qu’elle, je la soignais. Il y avait encore deux sœurs et la mère supérieure. Mère Colomba était d'une vitalité impressionnante. Nous on se relayait entre nous pour pouvoir la soigner. Il y avait une sœur venue de Suisse, sœur Olga, qui a peint toutes les icônes de la chapelle. Mère Colomba avait aussi une nièce qui était médecin en Afrique et qui est venue et l'a soignée les derniers temps. Six heures lui ont été nécessaires pour qu'elle parte. Je n’ai jamais vu quelqu'un mourir comme ça. On a prié, on a chanté, on était tout un petit groupe, elle avait toutes ses amies auprès d'elle. Par la providence de Dieu j'ai été pensionnée un mois avant qu'elle parte et comme ça j'ai pu être avec elle tout le temps.
Après, je suis restée avec sœur Pascale encore 9 ans, sœur Pascale qui savait tout faire ….vous lui donniez du bois, vous lui demandiez de faire un mur, une armoire ou n'importe quoi d’autre, elle savait tout faire; vous lui demandiez de broder la chose la plus fine, elle savait le faire. Elle a eu plusieurs AVCs et c'est pour cela que je ne dormais pas très bien, sachant qu'elle tombait parfois la nuit. Et un jour, une semaine avant Noël, elle était fatiguée, je lui ai dit d'aller se reposer. Plus tard j'ai frappé à la porte de sa chambre, je l'ouvre et je la trouve sur son lit....comme ça, souriante. Elle se nommait Pascale car elle venait d'Alsace et son nom de famille, en allemand, avait cette signification 'jour de Pâques' et on a gardé ce nom pour sa profession monastique.
Après la mort de sœur Pascale je suis restée ici encore deux ans, mais c'était très difficile, j'étais toute seule, j'allais à la Liturgie à Bruxelles ou à Chevetogne. Je suis tombée malade et, vers la fin, mon médecin m'a dit qu'il fallait renoncer, mais je ne savais pas quoi faire, où aller. Depuis deux ans. j'ai trouvé une nouvelle communauté, Les petites sœurs des pauvres, dans une maison de repos catholique. J'ai dû me réhabituer à la liturgie catholique, latine, car chez nous à Vedrin on célébrait la liturgie orthodoxe, en français, avec des mélodies slaves.
Question : Le prêtre qui célébrait ici, c'était qui ?
Sœur Monique : Il y avait Mgr Gryson, il y avait une autre prêtre qui venait de Liège, un jésuite, qui avait aussi la permission de célébrer en rite byzantin ; il y avait aussi un prêtre de Chevetogne qui venait, c'était toute une répartition. C'était vers la fin, lorsque j'étais toute seule, que c'était difficile et je devais me rendre à Bruxelles, Chevetogne ou Liège.
Question : Il y avait des laïcs qui venaient ici ?
Sœur Monique : Oui, bien sûr. Ils étaient avec nous, ils chantaient avec nous, c'était ouvert. Il y avait des personnes qui venaient peindre des icônes, des autres qui venaient prier. Pas de choses très bien organisées parce que nous n’étions toujours pas nombreuses.
Question : Pour l'architecture de l'église vous avez fait appel à un spécialiste de Russie ou comment avez-vous réussi de le bâtir dans le style russe ?
Sœur Monique : C'était le frère de la Mère Colomba qui a fait les plans de l'église, avec l'iconostase aussi. Mais ils avait fait également appel à un architecte qui s'occupait à la fois du cimetière de Namur. Ils avaient donc fait tous les plans et après trouvé un menuiser à Dinant qui n'avait jamais fait ça.
Question : Comment avez-vous choisi le rite byzantin et pourquoi ? Vous-êtes allée en Russie ou comment ?
Sœur Monique : Je ne suis jamais allée en Russie, les autres oui, mais moi non. C'était à Pâques une fois. J'avais déjà décidé d’entrer dans un monastère mais je ne savais pas très bien où, j'avais visité plusieurs monastères, mes parents n'étaient pas d'accord, j'ai dû attendre. Un jour, une amie m'a dit qu'elle voulait visiter le monastère de Chevetogne le 6 janvier (la fête du Baptême du Seigneur), nous y sommes allés, nous avons assisté aux offices et j'ai vu que c'était beau. Mère Colomba était déjà là-bas avec les sœurs et elle nous a dit : « Si cela vous intéresse, venez nous visiter le 2 février (la fête du Présentation du Seigneur au Temple)». Cela me plaisait bien. Elle nous a dit de revenir encore pour Pâques. Mes parents ne voulaient pas, mais finalement ils ont accepté que je passe la nuit de Pâques là-bas. C'est comme ça que j'ai connu le rite byzantin qui m'a beaucoup touché. C'était la nuit de Pâques que j'ai fait ma découverte.
Père Ciprian : C'est que Mgr disait aussi : qu'il n'a jamais pleuré pendant la Semaine Sainte avant de connaître le rite byzantin. C'est très touchant .
… Parlez-nous de vos autres expériences, comme par exemple le Vietnam.
Sœur Monique : C'était pendant la guerre de Vietnam. Mère Colomba avait une amie australienne qui se dévouait au Vietnam pour recueillir des bébés abandonnés. C'était la guerre ; elle récoltait tous les bébés et essayait de les faire adopter (ceux qui étaient adoptables, les autres étaient soignés) ; elle donnait du travail aux femmes qui voulaient aller au Vietnam et se dévouer gratuitement aux besoins de là-bas. Quand ces enfants étaient adoptés – c'était en France, en Allemagne, en Italie, en Belgique et aussi aux États-Unis – il fallait qu'on les ramène. C'était toujours dans des grands avions de 150 personnes, c'était un voyage qui de Saïgon à Paris durait 24 heures, avec des escales. On transportait chaque fois 12 bébés. Mère Colomba avait fait neuf voyages comme ça. Elle en a sauvé beaucoup. Une fois je suis allée avec elle. Il y a avait un bébé, une petite fille, qui devait venir en, on l'a appelé T. Elle est aujourd'hui aide-soignante à l'hôpital de Namur....39-40 ans sont passés et on se rencontre toujours. Je l'ai eue comme élève aussi.
Nous avions aussi la possibilité d'envoyer des choses à Saïgon et cela nous faisait plaisir de pouvoir envoyer des médicaments. Il y avait une dame à Paris qui s’est rendue dans tous les bureaux d’une compagnie aérienne (c'était Air France) pour essayer d’obtenir à chaque transport un numéro de kilos gratuits. Il y avait 3 transports par semaine et nous avons réussi a transporter 150 kg gratuits par vol, parmi lesquels beaucoup de médicaments. Il y avait une pharmacie en Belgique qui nous a donnait beaucoup de médicaments mais il fallait qu'on les ramène à Paris. Une fois, alors que nous transportions les médicaments dans le coffre, nous sommes arrivés à la frontière, sans avoir la permission de les transporter. Les vêtements étaient permis, mais non les médicaments. Nous avons fait les « innocentes », et avons demandé comment nous pouvions faire pour transporter légalement des médicaments avec les vêtements ? On nous donna une adresse à Paris, et nous avons reçu une réponse d'une dame libanaise qui était inspectrice. Il était possible de le faire, c'était permis, à condition de toujours s’arrêter à la frontière et d’ouvrir chaque boîte déclarée et la faire inspecter. Nous sommes passées chaque fois, mais avec des émotions.
A l'école les enfants nous demandaient : « Est-ce que l’on peut donner quelque chose, Madame, aux enfants de Vietnam ? » Je disais : « Oui, il y en a qui ne savent pas grande chose. Ils ne savent pas qu'est-ce c'est le chocolat, ni un crayon, ni rien ». Le lendemain, croyez-moi, j'avais 300 barres de chocolat et 300 stylos sur la table. Quand on les a distribué au Vietnam c'était.....à pleurer.
Nous avons fait également des convois humanitaires pour la Pologne. Nous avions un minibus, nous partions à deux, mère Colomba et moi. En Allemagne d'Est, ce n'était pas facile de passer. Il fallait tout sortir de la voiture, 650 kg de marchandises et les faire contrôler ou passer aux rayons X. Il fallait rouler tout le temps, on ne pouvait pas s’arrêter. Une fois, nous sommes restées trois heures à la frontière avec les Allemands, avec les chiens de contrôle. Ils ne voulaient pas nous aider pour faire descendre les marchandises de la voiture ; d'autres fois, nous sommes restées sans essence, c'était difficile.
Dans plusieurs de nos actions, on a eu le soutien de Mgr Basile Krivocheine, l'archévêque orthodoxe russe de Bruxelles qui nous rendait visite à Vedrin.
Père Ciprian: Le christianisme c'est le sacrifice....
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