La Paroisse est d'une importance vitale pour moi ! (II)

  • Posted on: 18 September 2017
  • By: delia

Interview parue dans la revue "Familia Ortodoxa", mars 2017

Comme je disais dans le numéro précédent du magazine, nous serions heureux de voir plus de paroisses comme celle de 'Tous les Saints' de Belgique. Car, comme vous allez le voir dans la poursuite du dialogue avec Père Ciprian, « c'est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez, ainsi tout arbre bon porte de bons fruits, et tout arbre mauvais porte de mauvais fruits. Un arbre bon ne peut porter de mauvais fruits, ni un arbre mauvais porter de bons fruits » (Matth.  7:17-18). La Paroisse est-elle le cœur de l'Église qui doit battre dans la vie de chaque membre de celle-ci? Nous recevons la réponse dans cette merveilleuse communauté des Roumains qui, dans le milieu d'une Europe laïque, n'oublie pas de prier le Seigneur. (G.F.)

-Vous nous avez parlé des principales caractéristiques d'une paroisse authentique. Mais comment pourrions-nous travailler toutes celles-ci, Père ? Par où commençons-nous ?

-Bien sûr, le fondement de tout ce que nous avons évoqué reste le repentir de chacun, la lutte avec l’ego malade, le changement fondamental de la vie. Plus un homme se repent de son péché, plus il reçoit la grâce de l'Esprit Saint pour lutter contre le vieil homme avec son ego, et, il ressent le besoin de confesser plus souvent ses péchés, les faiblesses, plusieurs fois par jour dans sa prière et, périodiquement, à son confesseur. Il assume de plus en plus ses chutes et il se sert de plus en plus de la confession. Quand il va chez le confesseur, il ne se justifie plus pour chaque péché, il n'accuse plus son prochain, son confesseur ou même Dieu pour "ses événements malheureux" et ses péchés. Il ne va plus raconter au confesseur des histoires de sa vie - contextes qui ne font que diluer la conscience du péché- ou dire « Vous savez Père, je pèche comme tous les hommes » ou « Bah, je n'ai tué personne ». Celui qui agit de cette manière, ne sait pas en fait se confesser, il n'obtient rien en allant chez le confesseur. Il ne vit pas le repentir. Il n'est pas vivant spirituellement. S'il ne change pas fondamentalement son attitude, en faisant preuve d'humilité et en reconnaissant sa maladie, il ne fera jamais partie d'une paroisse, ou de l'Église.

Lorsque nous allons à la confession, nous allons nous réconcilier avec Dieu (après être devenus Ses ennemis en péchant); assumons nos manques, apprenons à assumer les manques des autres, et surtout, en nous repentant, réunissons-nous à nouveau avec la Sainte Église - et donc avec nos frères de la Paroisse, comme il est dit dans la prière de pardon des péchés après la confession. Lorsque l'homme se repentit, il commence à se voir inférieur aux autres et il se réjouira et trouvera le repos en les chérissant, les aidant, les servant, les renforçant, ou simplement en les supportant.

C'est que de cette manière que je peux devenir « un même esprit » avec mes frères ; et à ce moment, je n'aurais plus à lutter avec la jalousie quand ils vont bien, et leur joie et l’Esprit Saint seront également avec moi. C'est que de cette manière que la paix avec mon frère devient précieuse pour moi, car je vais comprendre ce que l’apôtre Paul dit quand il nous conseille de ne pas nous disputer sur les petites choses: toute chose est petite en comparaison avec l'amour, l'unité et la communion !

-C'est ainsi qu'il est né le besoin du don de soi-même ? En luttant avec son vieil ‘ego’?

-Je pense que c'est une conséquence du repentir, mais je crois également que le pouvoir du don de soi est une caractéristique de la nature de l'homme. J'ai pensé à plusieurs reprises qu'un des devoirs du prêtre est de créer dans sa paroisse le cadre permettant à l'homme de comprendre ce qu'est le véritable sacrifice et dans quelles conditions il peut se sacrifier en toute confiance et utilement. C'est ainsi que "La Chandelle de la prière" est née chez nous, de même que les Divines Liturgies nocturnes, ou les aumônes faites pour aider les pauvres. Mais je suis convaincu que ce qui a compté beaucoup pour la consolidation de notre paroisse, hormis les prières et les sacrifices de toutes sortes, ce sont les millions des kilomètres cumulés des routes de nos frères et sœurs qui viennent des différents coins de Belgique, d'Allemagne, de Luxembourg, de France et de Pays-Bas. À vrai dire, il n’y a que six de nos fidèles qui habitent dans des villes proches. Les autres viennent des localités situées à une distance minimum de 50-60 km, certains plusieurs fois par semaine - pour la Liturgie, la Pénitence ou simplement pour se rencontrer à diverses occasions.

"Nous sommes liés par beaucoup de fils spirituels secrets"

- Puisque vous en parlez, comment se sont passées les choses dans votre paroisse ? Comment avez-vous créé cette famille spirituelle ?

- Je ressens qu'avec chaque prière des uns pour les autres, avec chaque moment passé ensemble, avec chaque chose que nous faisons ensemble, plus de « fils » nous lient de manière invisible.

Ce ne sont pas les années qui nous lient, mais ces fils spirituels secrets, et cette couture entre nous devient de plus en plus serrée et plus solide. C'est comme une toile tissée par le Seigneur, qui met nos cœurs un à côte de l’autre dans le "métier à tisser" de la paroisse et Il les tisse avec "la navette" de Sa Providence et Son amour : couleurs différentes, formes différentes, mais quelle joie harmonieuse ! La joie que j’évoquais avec vous il y a quatre ans s’accroît sans cesse et nous ne cessons de glorifier le Seigneur, en nous demandant souvent : si ici, sur la terre, les hommes étant faibles et pleins de passions, Dieu peut nous donner vivre tant de joie, mais comment sera-ce dans le Paradis ? Et la peur de ne pas perdre un tel salut, nous fait convoiter au plus, au plus Haut, et invoquer plus souvent et avec plus de pouvoir le nom de Seigneur pour nous aider, pour nous renforcer.

Nous avons peur de ce que Saint Apôtre Paul disait "Car, si déjà la parole promulguée par des anges a eu son effet, et si toute transgression et toute désobéissance a reçu en retour un juste châtiment, comment pourrons-nous échapper, si nous venions à négliger un message si salutaire, qui, annoncé d'abord par le Seigneur, nous a été sûrement transmis par ceux qui l'ont entendu de lui, Dieu confirmant leur témoignage par des signes, des prodiges et toutes sortes des miracles, ainsi que par les dons du Saint-Esprit, répartis selon sa volonté?" (Hébr. 2:3-4). Car ils ne sont pas peu nombreux les miracles et les signes que Dieu nous a donnés de vivre ici. Premièrement, par la prière faite par tous à « La Chandelle de la prière ».  Après, par la prière de beaucoup d'entre nous : des nombreuses fois le Seigneur est intervenu de manière miraculeuse quand, dans des situations d'urgence, j'ai demandé de prier pour ceux qui en avaient besoin, en envoyant des messages (SMS ou courriels) vers les 150 proches au sujet desquels je savais qu'ils me joindraient dans mon cri vers le Seigneur.

Enfin, d'après les paroles de saint Grégoire Le Théologien (si je m'en souviens bien), en plus de ces miracles que j'ai vécus ici, j'ai vu quelque chose de plus grand encore : le changement de la vie de l'homme, leur venue dans l'Église, la prise au sérieux des Évangiles, la compréhension des choses qui se produisent dans l'Église. Et je confesse que j'ai vécu et que je vis beaucoup de telles merveilles. Vous ne pouvez pas vous imaginez la joie que j'ai lorsqu’un de ceux que je confesse me dit ou m'écrit qu'il a eu une tentation quelconque, mais qu'il a prié de toute sa force et que la paix du Christ est venue en l'ébahissant. J’éprouve aussi un grand réconfort lorsque je vois les frères goûter des fruits de la vraie prière, accompagnée de l'arrivée de Christ : personne ne pourra leur enlever la confiance dans la réalité de la Résurrection du Christ. Quand l'homme commence à ressusciter, il commence à se rendre compte  que  la vraie lutte doit être portée au niveau de l’intellect, des pensées. Et je me réjouis quand, après plusieurs confessions, les frères commencent à confesser des pensées et non pas seulement des péchés. Cela montre qu'ils ont compris que toute chute commence par une pensée, que beaucoup d'entre celles que nous appelons « des mauvaises pensées » proviennent en fait du diable, le semeur d'ivraie. Cela montre qu’ils commencent à comprendre les faits de la lutte spirituelle.

Je ressens une telle joie quand je vois mes frères goûter du fruit de la vraie prière, accompagnée de la présence du Christ: cette conviction de la véracité de la Résurrection du Christ – personne ne pourra la leur enlever! Quand l’homme vient de s’éveiller, il commence à se rendre compte que la vraie lutte doit être portée au niveau de l'esprit, au niveau des pensées. Je suis content quand, après plusieurs confessions, mes frères commencent à avouer des pensées, non pas seulement les actes de la chute. Cela montre qu'ils comprennent que tous les échecs commencent par une pensée, que beaucoup de ce qu’on appelle « mes pensées » viennent, en fait, du diable, de celui qui sème l'ivraie. Cela montre que mes frères commencent à s’efforcer  avec compréhension, comment disent les saints Pères.

- Vous parlez beaucoup de l’œuvre de la grâce. Mais, en fin de compte, cela est normal pour la vie dans l'Église, n’est-ce pas?

- Absolument ! D'une part, dit l'Apôtre, « où le péché a abondé, la grâce a surabondé » Romains 5:20. Dans un sens, je pense à l'état du monde de nos jours: nous vivons dans une société qui a totalement refusé Dieu, qui a tendance à devenir «imperméable à la grâce», comme dit le Père Raphaël (Noica). Dans un tel monde, j'ai vu qu’au moment où le chrétien fait quelques efforts pour aller à la rencontre du Seigneur, Celui-ci non seulement vient, mais on peut vraiment dire qu’il court. Dans un autre sens, il arrive que presque tous les membres de la paroisse soient des gens qui ont rencontré Dieu d’une manière plus profonde dans les dernières années seulement, et le péché de leur ancienne vie est maintenant suivi par la repentance, ce qui apporte une plus grande grâce. D'autre part, on peut remarquer un phénomène intéressant: jamais dans l'histoire de l'Église il n'a existé une telle préoccupation des chrétiens simultanée pour les quatre grands dons par lesquels l'homme peut ressusciter son cœur spirituel: la prière mentale («Seigneur, Jésus Christ, aie pitié de moi ! »), la Sainte communion fréquente, la lecture de l’Évangile et la vie communautaire (comme mode de vie - en principe – monacale, qui est contraire à la vie par soi-même). Je dirais que c'est un don spécial que le Seigneur accorde aux croyants, en nous offrant toutes ces armes puissantes pour combattre l'esprit du siècle le plus opposé au Christ. Mais bien sûr, comme dans toute œuvre dans l'Église, en plus de la grâce du Seigneur qui vient à notre rencontre,  la participation de l’homme est aussi nécessaire, on a besoin que les dons dont on a parlé soient pratiqués.

-J’ai vu dans votre paroisse beaucoup de zèle en ce qui concerne tous ces quatre dons dont vous parlez.

- Oui, et j’en suis très content. Ce zèle c'est vraiment l'un des fruits de la grâce. Sans zèle, il est difficile d’évoluer spirituellement, il est difficile de lutter contre les tentations, de s’efforcer à obéir les commandements. Le zèle est l'état qui doit faire brûler nos cœurs. Il donne du pouvoir à la repentance, apporte l'humilité, car le zèle est nourri par la nostalgie de ce qu’on n’a pas encore acquis, comme le dit saint Jean Climaque.

- On sait que le zèle est un don de Dieu, et parfois nous le sentons en nous, mais comment faire pour le garder?

-Tout d'abord, à l'intérieur - par une lutte incessante pour nettoyer notre cœur des passions. Ensuite, par les faits qui montrent et renforcent la foi. Car le désir de plaire à Dieu détermine  l'homme à s’efforcer, à prier plus (et pas seulement le matin et le soir, mais en élevant son esprit vers Dieu le plus souvent possible, en faisant un petit effort où qu’il se trouve: au travail, en voiture, dans la cuisine etc.), et le fruit de cet effort est une nouvelle inspiration, au fond de laquelle l’homme peut recevoir du Seigneur (par son père spirituel, par un livre, par un frère) un nouveau mot qui augmente l’aspiration céleste, un nouvel élan aux efforts etc. - et le zèle continue de grandir. Il est simple: je montre mon intention, mon désir d'être avec le Seigneur, en luttant pour garder mon esprit aussi concentré que possible,  de garder la prière pendant la journée, et Il m’envoie sa grâce et j’accompli tout ce que je veux.

D'autre part, il y a des gens qui viennent se plaindre à moi de ne pas pouvoir se concentrer pendant la prière ou la liturgie, ou qu'ils luttent toujours avec la colère ou les passions de la chair, et ils me regardent innocemment quand je les demande s'ils perdent du temps et s’ils dispersent leur esprit en regardant la télévision, en écoutant la radio, en naviguant sur Facebook, en lisant les nouvelles sur le net etc. Simplement, ils ne voient pas le sens de la question, la liaison entre ce qu’ils me demandent et ce que je leur réponds. Pour eux, il semble exagéré de dire qu’il y a un lien étroit entre leurs problèmes et la façon dont ils utilisent leur esprit. Ces gens simplement ne croient pas les grands Pères contemporains qui disent que l'esprit qui caractérise ces nouvelles découvertes – je ne sais pas comment dire autrement - est incompatible avec l'esprit du Christ, qu’un esprit - qui a attrapé le virus de toutes les passions qui hantent librement ces environnements - dispersé et errant partout dans le monde, cet esprit donc a besoin de mois en cure de désintoxication pour pouvoir se réunir encore et être cohérent dans le dialogue avec le Christ. De la même manière que je ne serai jamais capable d'aimer quelqu’un si je ne pense toujours à lui, si je ne prie beaucoup pour lui, certainement je ne serai pas capable d'aimer le Christ si je ne prie beaucoup, si je ne Le fais toujours le centre des préoccupations de mon esprit.

Comme nous dit Père Zacharias d'Essex, les chrétiens devraient atteindre une «vie d’une seule pensée : le Christ ! » Seulement lorsque le Christ deviendra le centre de ma vie (et pas seulement une « section» du cercle de mes préoccupations), seulement quand je ferai toutes choses par rapport à Lui, je pourrai dire que je commence à vivre une vie spirituelle.

C’est pourquoi je crois qu'il est beaucoup plus facile pour l'homme moderne de pratiquer l’ascétisme dans un sens positif, qui est de se livrer à des œuvres spirituelles, « d’attraper » son esprit dans la prière, dans les bonnes œuvres, dans le bien faire aux autres. Le chemin « négatif » de l’ascétisme, c’est-à-dire la lutte de l’esprit contre les passions et contre l'ennemi est beaucoup plus difficile. Quand l’homme a beaucoup de zèle et est engagé dans de bonnes œuvres, il évite par défaut des préoccupations stériles tels que celles énumérées (bien sûr, la liste est non-exhaustive) et il est beaucoup plus difficile à tomber dans le péché ou de perdre sa foi.

De plus, le zèle nous protège contre cette terrible consommation d'énergie apportée par la critique malsaine, négative. J'ai toujours été effrayé par les gens qui ne cessent de se plaindre : de leur mari, de leur femme, de leur voisin, du gouvernement, des francs-maçons, d’absolument tout - des gens qui se construisent la prison de la solitude, en critiquant et en condamnant tout le monde. D'autre part, l'homme qui cultive l’inspiration, est sans cesse préoccupé des  choses positives, et donc sa vie deviendra heureuse et resplendissante.

Nous voyons cela aussi dans nos paroisses. La majorité de ceux qui sont „critiques” et „lucides”, qui ne se laissent pas „duper” par la vive ardeur et la joie des autres, quittent finalement la paroisse ou bien ils se positionnent à une distance de sécurité, qui leur permet la vie „autonome” (autrement dit: ils n’en font « qu’à leur tête »), qu’ils la désirent.  Ils ne comprennent ni la joie des autres, ni l’amour qui les relie, ils ont toutes sortes de questions („Pourquoi autant d’offices?”, „Pourquoi demander tant de bénédictions au prêtre?”, „Mais pourquoi tu dois aller à cette église-là? Tu n’en as pas une dans ton quartier?”), ils cherchent toutes sortes d’explications „logiques” pour ce qu’il se passe (comme: secte, manipulations, gens désespérés, „le prêtre exagère” etc.) et ils donnent toutes sortes de „conseils bien intentionnés” (par exemple, au prêtre depuis ses collègues: Fais attention aux laïcs, si on leur donne un doigt, ils prendront ton bras”; aux laïcs depuis leur famille ou leurs amis: „Je ne te reconnais plus! Attention, ne fais pas une fixation!”, ou „Attention à ne pas exagérer / qu’on ne tire profit de toi” etc.). Et leur fin est triste: comme la fin du grand frère de la parabole du fils prodigue (ou du père [miséricordieux], comme il me plaît de la nommer), ils ne sont pas capables d’entrer dans la joie des autres, ils sont des prisonniers d’un apitoiement malade sur eux-mêmes, en se sentant toujours incompris, lésés, qu’on tire profit d’eux et ils ne veulent pas entrer dans la joie du Père; ils restent en dehors du royaume.

„J’AI MENÉ UNE POLITIQUE CONTRAIRE À CELLE QU’ON PRATIQUE AU NIVEAU DES GOUVERNANCES

— Notre peuple a été, surtout les trois cent dernières années, la victime des politiques et des pressions de désunion, qui ont semé la méfiance entre les gens, et la suspicion, et je crois que presque tous les Roumains sont les porteurs de ce virus. J’ai observé que cela affecte aussi l’Église: nous n’avons plus confiance les uns en les autres. Mon père, n’êtes-vous pas confronté à ce problème?

— Nous avons aussi été confrontés à cela au départ. C’est comme vous le dites: il a fallu que nous portions un combat pour acquérir la confiance les uns envers les autres. Nous avons beaucoup lutté pour guérir notre ADN, pour ainsi dire, pour apprendre à ne pas juger, à tolérer les faiblesses du prochain,  à lui montrer confiance, à vouloir le connaître. La prière a bien sûr été essentielle; pourtant, toutes les autres choses qu’on fait dans la paroisse  pour s’approcher les uns des autres, pour mieux se connaître, ont eu beaucoup d’importance. Je pourrais dire que j’ai mené une politique contraire à celle qu’on pratique au niveau des gouvernances d’un pays: une politique d’unification, de rassemblement. 

C’est pourquoi, ce qui me rend le plus triste lors de la confession est quand j’entends que mes frères en Christ se sont jugés ou pire, ont fait des commérages sur leurs frères ou se sont heurtés par des paroles. La majorité des frères ont compris que  ces sont des péchés fratricides, et je sens qu’ils luttent de plus en plus pour ne plus tomber. Ici je crois qu’est important, comme dans toute famille, le rôle de médiateur du prêtre-père, pour aider ses frères-fils à apprendre l’art de dialoguer: nous pouvons avoir des opinions différentes, mais cela n’est pas un motif pour se fâcher, pour se disputer; nous devons faire la distinction entre une idée et la personne.

Cela n’a pas été facile, mais le Seigneur nous a aidés et nous avons atteint cet état où il arrive parfois d’être une centaines de personnes ensemble et de se sentir si proche avec tous, comme si on était avec sa famille: tout est naturel, on n’a rien à cacher, on est calme; tout ce que nous disons, tout ce que nous faisons, nous n’avons pas peur que les gens autour de nous l’interprètent mal ou déforment nos propos, il n’y a personne qui voudrait « nous prendre en défaut dans nos paroles » (comme cela se produit, par exemple, le dimanche lorsque l’on prêche, alors que des loups déguisés en moutons se faufilent dans le troupeau). Pour y parvenir, nous avons été aidés maintes fois par le rappel des paroles de l’apôtre Paul aux Éphésiens: „Entretenez-vous les uns les autres par des psaumes, par des hymnes et par des cantiques spirituels »( Eph. 5,19). Autrement dit, à notre niveau: il faut être attentifs au contenu de nos discussions; l’approche de tout sujet doit être la plus spirituelle possible, à l’abri des sujets du monde, à partir desquels il est probable de déclencher une querelle. Sinon, il est tout à fait difficile d’acquérir la maîtrise de soi, cela veut dire le pouvoir de ne pas parler des choses que nous regretterons après et de ne pas parler sans réfléchir aux conséquences douloureuses qui peuvent heurter notre prochain.

—Pouvez-vous nous présenter le programme d’un Dimanche habituel dans la paroisse ?

Après la Liturgie et l’agape, j’ai proposé aux frères de rester encore ensemble, de nous reposer ensemble en Christ, dans la Beauté. Parfois je leur parle d’un thème quelconque de la vie spirituelle (au cours des années nous avons essayé d’aborder ensemble les plus importantes), quelquefois nous lisons des fragments des écritures des Pères et nous les expliquons, en essayant toujours de voir comment on peut appliquer l’Évangile dans notre vie concrète. Certains dimanches, nous présentons soit un livre, soit un pèlerinage, où quelques-uns d’entre nous ont été durant la semaine, autrefois nous parlons de grands personnages de l’Église et de la culture roumaines. Autrefois, nous nous partageons simplement les uns les autres et nous nous enrichissons réciproquement avec ce que nous avons vécu en Christ et ce qui nous a rendus joyeux, ces choses que nous portons tous dans nos cœurs. J’ai dénommé cette „détente ensemble” un peu prétentieusement „Le moment philocalique”. J’ai surtout pensé à l’étymologie du terme (philocalique= aimant de la beauté) et j’ai moins considéré l’acception classique, patristique. C’est à dire, j’ai visé à apprendre ensemble, petits et grands, à se réjouir dans ce qui est beau et à cultiver ce qui est beau (compris dans son sens élargi) dans nos vies, dans ce monde où ce qui est laid est de plus en plus apprécié et souverain. Quand Dieu a fait le monde, Il l’a fait bon et beau, et la beauté est l’un des sceaux apposés au début sur le monde et sur l’homme.

De plus, j’ai aussi remarqué une cause des problèmes de la vie spirituelle de certains chrétiens: ils sont directement entrés dans la peau de personne spirituelle avant d’être d’abord des gens simples, des gens équilibrés, profonds, sensibles – traits qu’une bonne éducation (où ce qui est beau occupe la première place) leur aurait pu donner. J’ai la conviction que pour pouvoir obtenir une vie spirituelle authentique, la personne doit réapprendre à se réjouir de choses simples, de la beauté du naturel, de la nature, de l’art véritable – de toutes ces choses qui faisaient partie de la vie de tous les jours de nos ancêtres dix ans auparavant. J’avoue qu’au départ j’avais un peu peur que ce „moment” ne devienne pas un moment culturel, surtout les dimanches où nous évoquons Eminescu ou d’autres poètes roumains qui au cours des siècles ont cherché Dieu. Maintenant, après les centaines de dimanches passés ensemble, je rends grâces à Dieu, pour nous avoir montré encore une fois que tant qu’on reste dans l’Esprit du Christ, tout ce que nous faisons ensemble dans la paroisse produit mystérieusement la guérison des âmes. 

(fin de la deuxième partie)

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