L'amour est le sceau de la Vérité

  • Posted on: 16 August 2016
  • By: delia

Article paru dans la revue "Familia ortodoxa", no. 87 (avril, 2016).

Une année après la dormition du Père Silouane Osseel

19 avril 2015

Je le regardais et je ne pouvais pas comprendre : comment est-t-il possible qu’il existe une telle personne ?

Je lui posais des questions et, avant qu'il ne dise un mot, il fermait ses yeux, il gardait quelques moments de silence, approfondi (ou, plutôt, enfoncé) dans la prière clignant des yeux, en regardant quelque part à l'intérieur – et il répondait de là-bas, de son intérieur.

Je me trouvais devant une prière incarnée – et quelle prière ! J'étais étonné, attendant de le voir dans un état de l'âme habituel, même pour quelques secondes. Pourtant, il gardait toujours cette tension (spirituelle). Il brûlait.

"Les parfaits ne disent rien d'eux-mêmes, mais seulement ce que l'Esprit leur donne", disait un jour le Saint dont le nom sera porté par le père Silouane Osseel, dans son passage à l'Orthodoxie. Nous vous avons présenté l'interview avec ce juste il y a quatre ans. Nous avons ensuite entendu qu'il a changé la vie de quelques-uns qui sont allés le chercher – et ils l'ont trouvé -  en même temps ils ont trouvé Dieu. Allons rencontrer de nouveau le Père, cette fois par les paroles de l’un de ses proches disciples, Père Ciprian de Belgique, dans son homélie prêchée il y a un an, juste après le départ du Père Silouane aux Cieux. Attachez vos ceintures! Nous allons voler! (A.S.)

Frères et sœurs en Christ, l'Église a établi de lire aujourd'hui à la Liturgie le péricope de l'Évangile selon St Marc où l'ange apparait aux femmes myrrhophores pour leur annoncer la Résurrection de Dieu. Je ne vais pas vous parler de cela aujourd'hui, mais d'une autre confirmation de la Résurrection. Les Myrrhophores sont allées soigner un corps mort et elles ont rencontré la Résurrection. Cette chose, nous l'avons également vécue ces dernières jours: nous sommes allés veiller un être cher qui est décédé et nous sommes rentrés chez nous assurés que nous sommes immortels, que Dieu a tant d'amour pour l'être humain, que "l'amour est aussi fort que la mort" Cantique des cantiques8:6, qu'il n'y a pas de séparation en Christ. Nous sommes rentrés assurés qu'on peut vivre sans cesse, dans l'Église, ce moment bouleversant évoqué par l'Évangile qu'on a lu aujourd'hui: la mort est vaincue!

Le dimanche passé, le Dimanche de Thomas, l’un des grands Pères de nos jours, de ce côté du monde, est parti à Dieu: Père Silouane de Gand, qui célébrait les Liturgies à Eindhoven, aux Pays-Bas. Je dis qu'il est un grand Père puisqu'on ne sait pas grand-chose à propos de l'Orthodoxie de l'Occident ; pourtant, de nombreuses personnes ont entendu de Père Silouane: ici, en Roumanie et dans le monde orthodoxe entier. Cela est aussi dû au fait qu'il a été disciple du Bienheureux Sophrony d'Essex; cependant, c'est sa vie qui l’a fait connaître.  C'est pourquoi, je voudrais dire quelques mots de Père Silouane…

Assoiffé de la Vérité

Premièrement, le Père a cherché tout sa vie la Vérité. Il était catholique, il essayait de pénétrer les profondeurs du christianisme mais il n'était pas satisfait de ce qu'il vivait. Ce mécontentement l'a déterminé à prier, à demander à Dieu de l'amener à Sa Connaissance. Après nombreuses recherches, après avoir lu le livre sur la vie de Saint Silouane, sa soif de Vérité l'a porté à un moment de sa vie en Angleterre, à Essex, pour rencontrer Père Sophrony, le disciple de Saint Silouane. Ici il s'est rendu compte qu'il avait trouvé ce qu'il cherchait depuis des années: il avait trouvé la vraie et unique Église. Il s'est ainsi décidé à devenir orthodoxe.

Je vous disais alors, quand il est venu pour la première fois chez nous, dans notre paroisse, comment on transmet le plus authentiquement notre foi. Il arrive rarement que les gens connaissent le Christ par une révélation extraordinaire; pour la plupart de gens, il y a une filiation spirituelle: la foi se transmet du père (guide spirituel) au fils. Je disais alors, qu'un jour, quand saint Silouane priait de tout son cœur, assoiffé de Vérité, le Christ Lui-même, en personne, S'est montré à lui, prenant la place de l'icône que le moine Silouane regardait, le regard du Christ est resté dans son cœur tout sa vie et le moine deviendrait – après cet échange de regards – le grand Saint Silouane.

Plus tard, deux autres regards se sont rencontrés, dans la cour du monastère Saint-Pantéléimon du Mont Athos: celui de Saint Silouane et celui du Père Sophrony (Père Sophrony se rappelait de la place exacte où ils se sont rencontrés pour la première fois). Père Sophrony – qui lui-même avait déjà vécu l'expérience de la Lumière incréée et des "visites" de Dieu –a acquis une connaissance complètement autre des questions spirituelles, il a compris plusieurs choses qu'il n’avait pas saisies auparavant et sa vie a pris un autre cours.

Au fil du temps, deux autres regards se sont rencontrés: celui du Père Sophrony et celui du Père Silouane de Eindhoven. Après cette rencontre, celui-ci n'est plus resté le même: il est devenu orthodoxe, puis prêtre, en vivant et en se nourrissant de cette expérience – le rencontre avec l'homme de Dieu, le Père Sophrony. C'est une chose vue et sentie par tous ceux qui l'ont connu. Et je souligne tout cela parce qu'il est important de retenir que toutes les rencontres, durant la vie de chaque personne, font partie de la Providence de Dieu, et notre devoir est de les rendre providentielles, de laisser Dieu agir par elles. Nous ne rencontrons aucune personne par hasard – comme on dit, "j'ai eu de la chance" ou "voilà quelle coïncidence", il n’y rien de cela. Il dépend de nous de laisser la place à Dieu dans cette rencontre, de renaître par chaque personne que nous rencontrons en Christ; cela dépend de nous: dans le cas où nous luttons pour garder les bienfaits que cette personne nous a offerts, comme dans le cas où nous prenons une position chrétienne face à celui qui nous ment, qui nous heurte ou qui nous trahit (y compris ces rencontres avec les gens par lesquels travaille le diable, des rencontres qui peuvent donner naissance à la Résurrection de nos âmes, si nous les vivons par le Saint Esprit).

« Nous allons prier ensemble »

Ce qui était extrêmement frappant pour moi chez Père Silouane, c’est que je ne l'avais jamais entendu parler de banalités. Il ne parlait jamais de lui-même en dehors de sa relation en Christ, ayant en son cœur beaucoup d'amour et de compréhension envers le peuple, beaucoup de pénitence envers lui-même, et beaucoup de fermeté vis-à-vis de toute déviation de la Vérité et de l'Amour. Il savait se poser en-dessous de tous mais il savait également imposer son point de vue. Il se repentait toujours pour ses péchés et il savait toujours te pousser vers le Ciel. Et tout cela puisque le Christ était vivant en lui. J'ai la conviction qu'il avait la prière incessante, la Prière du cœur – sa plus prière la plus chère. J'ai les témoignages de deux personnes qui l'ont connu pour confirmer cela.

L’un de celles-ci est un prêtre qui, en célébrant la Divine Liturgie avec le Père, a commencé sentir son cœur brûler, et la prière "Seigneur, Jésus Christ, aie pitié de moi!" vint soudain toute seule dans son cœur, sans arrêt et sans aucun effort.

Un deuxième témoignage, digne de confiance: l’un des ses amis, à l'époque où il n'était pas encore orthodoxe, était très égaré et avait l'esprit malade. Ayant entendu parler de Père Silouane, il est allé le rencontrer et lui demander secours. Le Père lui a dit qu'il devait prier et il lui a répondu: "Père, mon cœur est endurci, je ne peux  rien faire, plus rien, je ne peux pas prier". Alors, le Père a pris sa main et lui a dit: "Nous allons prier ensemble". Et depuis ce jour-là cet homme est ressuscité, il prie et tous ceux qui le connaissent témoignent qu'il émane la prière.

C'est là l'œuvre du Christ, par notre Père Silouane, qui lui a insufflé l'œuvre de la Prière du cœur. Et quelqu’un me racontait qu'il avait posé cette question à la personne dont on parle (plus haut): "Qu'est ce-que tu fais quand tu ne peux pas prier?" et il a répondu avec un regard terrifié: "Comment ne pas prier?!". Il ne pouvait pas s'imaginer – il a répondu, effrayé : "Comment puis-je ne pas prier?!". Il avait compris ce que Père Silouane lui avait montré: même si nous sommes vivants, nous sommes morts sans prière; même si par le corps nous nous trouvons à l'église, nous ne sommes nulle part sans prière; même si nous faisons formellement partie de l'Église, si nous ne prions pas avec le désespoir, avec la conscience que sans le Christ nous allons dans l'enfer, il n'y a pas d’issue et il n'y a pas de possibilité d'être sauvés; le salut est justement quand le Christ demeure dans nos cœurs. Et cela n'est pas possible sans prière.

« Nous sommes nous deux et le Christ en éternité »

J'ose dire que Père Silouane est l’un des grands Pères pratiquants de la Philocalie de nos jours: j'ai entendu de lui autant de grandes paroles, et belles, qui font vibrer l'âme, des mots nés de sa propre vie qu'il vivait, et pas des paroles des lectures!

Par exemple, à la confession, il commençait par une prière libre envers le Christ, où il se mettait lui-même en-dessous de toute la création; cela était le début de sa confession, et il t'aidait aussi à savoir où tu te trouvais, en disant: "Réfléchis bien, nous sommes nous deux et le Christ dans l’éternité. Personne et rien n'a plus d'importance, ni ce qui s'est passé. Nous commençons d'ici". Avec cette attitude, on évite de glisser (dans le cadre de la confession) dans la recherche de consolations psychologiques ou de solutions "magiques" à nos problèmes (c’est-à-dire qu’il serait possible que le père spirituel nous donne "quelque chose" pour résoudre notre problème, sans effort de notre part) – ce qui est une lourde erreur: nous fatiguons ainsi inutilement nos pères spirituels, nous volons leur temps et nous ne croissons pas spirituellement. S'il nous semble que le temps passe en vain, sans une guérison de nos passions, essayons de saisir, avant tout – plutôt que de nous justifier et de chercher toutes sortes d'explications à nos chutes répétées, accusant tout le monde: le père spirituel, les frères, voire Dieu Lui-même – si nous savons comment nous confesser; osons le demander à nos pères, demandons-le à Dieu.

Dans la confession, le Père nous aidait à vivre ce que nous savions de la théorie des livres lus: que la confession n'est pas la place où nous vidons nos sacs de péchés pour continuer tranquillement notre vie (et à accomplir nos péchés),  mais que c'est par contre la place où nous allons pour nous guérir, pour retirer tout ce qui nous sépare du Christ et des hommes, et pour apprendre la volonté de Dieu dans les aspects importants de notre vie. L'attitude du Père Silouane à la confession t'aidait à acquérir cette mentalité. De tout façon, il ne se cachait pas: durant la confession, il prononçait avec les lèvres, continuellement: "Seigneur, Jésus Christ, aie pitié de moi!". Et tu disais ce que tu devais dire, il priait et, s'il avait un mot de Dieu, une révélation, il disait ce que lui arrivait; sinon, il ne disait rien mais toi – tu partais vraiment libéré – par ses prières du médiateur entre toi et Dieu -  et tu sentais vraiment qu'on travaille pour la guérison de ton cœur.

« Que dois-je faire: devenir moine ou me marier? »

Pour nous, ceux de notre paroisse, il a été nombreuses fois prophète, c'est-à-dire révélateur de la volonté de Dieu. Beaucoup de bonnes choses que nous vivons ici sont également nées par les révélations du Père, par ses prières. À chaque fois que nous nous trouvions dans une situation difficile et que nous ne savions pas comment procéder, je suis allé chez Père pour connaître la volonté de Dieu et je l'ai toujours quitté avec la certitude que la parole qu'il me donnait provenait de Dieu. C'est ainsi parce que "l’expérience a confirmé" (comme le disait Saint Silouane), ou parce que sa parole contredisait parfois sa propre expérience (pendant vingt-cinq ans, il a été recteur dans une paroisse d'Eindhoven, mais il me donnait parfois une autre parole que ce qu'il faisait dans sa paroisse). Et ainsi c'était évident qu'il s'était guéri de sa raison, de son expérience, de cette tentation de parler de sa propre raison, et il recherchait toujours l'avis de Dieu.

Une personne qui m’est chère a rencontré Père Silouane à un moment donné où il était préoccupé par un problème si connu: "Je ne suis pas marié. Qu'est-ce qu'il faut faire: me marier, chercher à former une famille?". Père Silouane lui a fait une belle réponse, inattendue, voire choquante: "Dis la Prière du cœur, habitue-toi à cela, et cela va t'aider à comprendre l'image de Dieu scellée dans ton cœur; et alors ce que tu vas choisir ne va plus compter ".

C'est cela l'essentiel et, si je comprends cela, la forme "sociale" dans laquelle je vis n'a plus d'importance: je vais mettre ma vie dans les mains de Dieu, et Lui va arranger et me montrer la voie qui va me sauver. Parce que nous pouvons avoir une "famille réussie", avec des enfants "réussis" et toute la recette classique de bonheur social, pourtant notre cœur, insatisfait, peut aspirer à l'infini. Nous pouvons être dans un monastère des "marionnettes" habillées en noir, en nous gâchant notre existence, si nous ne comprenons pas l'essence de la vie monastique. Soit mariés, soit célibataires, soit moines/moniales, notre combat est de découvrir, de travailler l'image de Dieu, qu'Il a mis en nous le jour de notre création, et d'aspirer d'arriver à la ressemblance avec Celui qui nous a créés. En dehors de ce combat, sans vivre une vie spirituelle authentique, dans l'Eglise, avec l'obéissance, avec la vigilance (nepsis), nous n'avons aucune possibilité d'être vraiment heureux, ni sur la terre, ni dans le Royaume éternel. 

Il était comme ça, le Père… Il n'avait pas un manuel avec des notes prises de ses lectures en nous disant: "venez écouter ce que j'ai encore lu", il avait toujours un mot né par la prière.

« Un pouvoir terrible de pardonner »

Cette compréhension – que sans prière, sans Christ, "nous ne pouvons rien faire cf. Jn. 15:4, l'a aidé de construire avec sa presbytera, matouchka Oda, une belle famille, mais surtout il a formé l’une des plus belles paroisses que j'ai rencontrées – celle d'Eindhoven, qu'il a fondée en 1990. D'après un frère de cette paroisse, l'amour de Père Silouane pour les membres de sa paroisse était inimaginable. L'amour du Christ était vivant, visible en lui-même; il paraissait qu'il se réjouissait de ta présence quand tu allais à l'église. Chaque membre de la paroisse sentait cela, quel que soit la nationalité ou l'état spirituel de la personne. Par son amour, le Père pouvait mettre les gens ensemble. Comme il aimait à le dire, on avait l'impression qu'on fêtait la Pentecôte chaque Dimanche dans l'église orthodoxe d'Eindhoven: il y avait des personnes de sept nationalités différentes (des Hollandais, des Roumains, des Belges, des Américains, des Anglais, des Russes, des Grecs et des Arméniens); cependant, le message de l'amour de Christ est unique, et pouvait être compris par chacun.

"La qualité de tes relations avec les personnes autour de toi est donné par la qualité de ta relation avec Dieu", disait le Père, en poussant les personnes à faire leur propre repentance et à prier pour les autres, cela étant la clé pour une bonne entente entre les frères de l'Église.  Il demandait toujours aux paroissiens de ne pas permettre aux différences de nationalité, de culture, d'éducation, de les séparer, de les distancer, mais d'ajouter valeur et beauté à leur liaison fraternelle. Il les aidait à comprendre les problèmes qui venaient comme des possibilités de guérison, de renforcer leur amour, de voir en l'autre l'image du Christ, l'icône vivante, qu'il doit apprendre à aimer; et à cette mesure on ne peut pas arriver si l’on ne comprend pas qu'il faut respecter la liberté de son frère, comme Dieu Lui-même la respecte.  

Cette attitude demandée à ses paroissiens n'était pas différente de celle qu'il avait envers les prêtres avec lesquels il célébrait la Liturgie à chaque fois qu'il apparaissait une tentation ou une tension entre eux: il luttait pour faire vite la paix, il priait pour eux, il s'abaissait, il se repentait pour ses mots ou faits; d'après un de ces prêtres, "il avait  un pouvoir terrible de pardonner". Et je lui ai demandé: n'est pas cela la preuve que le Saint Esprit demeure dans son cœur? N'est pas cela l'accomplissement de la parole de l'Évangile, quand le Christ a soufflé sur Ses disciples et leur a dit: "Recevez le Saint-Esprit; ceux à qui vous pardonnerez les péchés, ils leur seront pardonnés; et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus."Jn.20:22-23? De plus, quand c'était le cas, Père Silouane demandait les prières de ses paroissiens, puisque la paroisse était pour lui une grande famille, où les pères peuvent et doivent partager les problèmes qui arrivent avec les enfants plus grands.

En agissant ainsi, Père Silouane dissipait l'idée rencontrée parfois dans l'Église – que nous, les prêtres, nous devons toujours donner l’impression que tout est toujours en rose, que nous vivons comme des anges, en "flottant" continuellement, qu'entre nous il y a que des sourires et des fleurs… Je ne sais pas qui est le père de cette idée bizarre que nous devons donner l’impression, au prix de mensonge, que tout va bien même quand cela ne va pas, sans quoi nous risquons de décevoir les paroissiens. Le Père répétait souvent que les prêtres sont aussi des gens imparfaits, en combat avec les démons et avec les passions, et qu'ils doivent être soutenus par les prières de leurs paroissiens.

Il avait l'habitude de dire que "l'amour est le sceau de la Vérité", montrant que l'amour est le critère à utiliser pour savoir si notre ascèse, notre effort est apprécié par Dieu, si notre vie est dans la Vérité, pour vérifier si mon ascèse n'est pas hérétique, d'après Père Rafail (Noica).

Père Zacharie d'Essex m'a dit que Père Silouane a mis en œuvre la définition d'un vrai prêtre: un homme qui brûle pour l'amour de Dieu et pour les hommes.

« Je vous ai apporté la Sainte Communion… »

À un moment donné, les maladies ont commencé à le frapper. Lorsque je l’appris, il y a cinq ans, l’un de ses proches m'a demandé de prier pour lui, parce qu'il était gravement malade et que l’on s'attendait à sa mort (pour la énième fois!). En connaissant mieux Père Silouane – mais surtout maintenant, à la fin de sa vie terrestre -  les mots de Saint Paul aux Philippiens  reviennent à mon esprit: "Car pour moi, la vie c'est le Christ, et la mort est un gain. Mais si continuer à vivre me permet encore d'accomplir une œuvre utile, alors je ne sais pas que choisir. Je suis tiraillé par deux désirs contraires: j'aimerais quitter cette vie pour être avec le Christ, ce qui serait bien préférable, mais il est beaucoup plus important, à cause de vous, que je continue à vivre. "Phil.1:21-24. Je suis convaincu que, les dernières années, Dieu a décidé de laisser encore en vie le Père, malgré ses nombreuses maladies, les unes plus graves que les autres, et  plusieurs interventions chirurgicales, pour le gain spirituel de ceux qui l’entouraient. Avant sa mort, Père Sophrony avait dit à son proche disciple: "Je peux aller à Dieu, j'ai terminé ce que j'avais à Lui dire, je n'ai plus rien à Lui dire". Je pense que Père Silouane pouvait aussi dire cela il y a quelques années, pourtant il est resté encore sur Terre pour guérir encore, pour gagner encore des gens au Christ.

Il y a deux semaines, le troisième jour de la fête de Pâques, le Père se sentait mal et il a dû aller à l'hôpital. Son état de santé a vite empiré et le vendredi soir il est tombé dans le coma. Samedi après-midi, les médecins disaient qu’il lui restait encore quelques heures à vivre puisqu'il n'avait plus bougé depuis 24 heures. Son fils aîné, qui me tenait au courant de son état,, m'a téléphoné pour aller chez lui. Quand je suis rentré dans sa chambre, il a dit à son Père (qui se trouvait dans le coma) que j’étais arrivé, et celui-ci a tressailli. Je suis allé vers lui et je lui ai parlé en chuchotant mais les appareils auxquels il était connecté, lesquels ont saisi l'émotion de l'amour du Père et ils ont commencé à sonner (matouchka m'a dit qu'il lui arrivait cela lorsqu’il était ému).

Nous pleurions tous, nous avons prié ensemble pendant un certain temps, en le prenant par la main, en disant la prière du cœur, comme nous l’avions appris, et puis j’ai demandé: «Père, vous voulez que je vous lise une prière? En français? Ou en roumain? ". Le Père à approuvé légèrement par la tête et les membres de la famille m'ont dit: "Lisez en roumain." Alors j'ai demandé: «Vous désirez communier? J'ai apporté la Sainte Communion ». Et le Père qui était dans le coma, qui n’avait plus bougé depuis longtemps, dans l’était où il se trouvait, les yeux fermés, a fait un effort pour se lever. Ses enfants sont venus immédiatement l’aider et le Père a réussi une chose que moi, en état de bonne santé, n’aurais pas réussi, je pense: en dépit des trois ou quatre tubes qu’il avait dans sa bouche, il a levé un coin de la bouche pour pouvoir recevoir la Communion. Une fois avalée, les appareils sont revenus au silence et le Père s’est endormi, fatigué par la tension avec laquelle il a vécu sa dernière rencontre avec le Christ dans l'Eucharistie.

Il n’y avait plus de mots à dire – et ce n’était pas du tout nécessaire -, le temps a commencé à couler à nouveau et je suis parti de l’hôpital. Ayant à l'esprit les paroles de Joseph l’Hésychaste lorsqu’il a reçu sa dernière Communion : « la nourriture pour la vie éternelle ».  Je pense que nous tous qui avons été témoins de ce qui est arrivé, nous sommes partis de l’hôpital avec cette attitude. (Je vous ai dit tout cela pour vous rappeler que durant les quelques heures avant sa mort, jusqu'à ce que l'âme se sépare du corps, l'homme tout entier est là, et pas seulement un corps immobile, l’état de coma est juste une apparence. Ne vous laissez pas tromper par l'apparence de celui-ci, ne discutez pas de sottises ou de choses administratives autour de celui qui est à côté de chez vous entre la vie et la mort, mais parlez-lui, priez pour lui, avec lui, parce que celui qui est dans le coma vous entend; je peux vous assurer cela, car Dieu m'a donné la chance de le vivre plusieurs fois, comme prêtre: se convaincre que celui qui est dans le coma sait, entend et voit tout ce qui se passe autour de lui).

Dimanche, il a attendu jusqu'à ce que la famille soit venue le visiter, parce que le programme de visite de l'hôpital était très strict dans son cas. Il a attendu tous ses proches, ils ont prié ensemble pendant une demi-heure, et puis, lentement, tendrement, il s’est reposé dans le Seigneur qu’Il aimait tellement. Mais en rassurant ses enfants quant à la résurrection. L'un d'eux, qui avait des doutes quant à la résurrection du Christ, m'a confessé qu'à partir du moment de la mort de son père, il n’avait plus de doute; il a été fort impressionné par le fait que la bonne attitude par rapport à la mort nous amène à Dieu et elle ne nous sépare pas, comme cela arrive malheureusement trop souvent.

« J'ai finalement eu le temps de parler longuement avec mon Père »

Lors de sa dernière nuit avant les obsèques, le Père a été veillé toute la nuit dans l’église et nombreux étaient ceux de notre paroisse et de sa famille qui avons prié et veillé avec lui. Et nous avons le mot « veillée » en roumain, mais nous savons tous ce qui se passe malheureusement dans la plupart des veillées chrétiennes - païennes, en fait – de chez nous. Et je vous dis cette chose parce que nos grands-parents commencent à partir vers les cieux et il y aura des gens qui vont mourir autour de nous et nous allons tous mourir, un par un. Et il est important de savoir que ce qui s’est passé au chevet du Père Silouane devait arriver lors des veillées de tous les chrétiens, c’est-à-dire la lecture continuelle des psaumes et du Nouveau Testament, à côté du cercueil de la personne décédée, le partage de ce temps dans la prière pour le repos de l’âme de la personne endormie, qui part à la rencontre de Dieu. Nous tous qui avons veillé ainsi autour de notre Père avons expérimenté l'état de grâce et de paix, comme dans la nuit de la Résurrection. Par conséquent, lorsque le matin, l'un des fils du Père Silouane a remercié ceux qui ont passé la nuit dans une telle prière, j’ai souri. Je lui ai dit: «Ce fut pour moi un grand privilège! Père Silouane était si précieux, avec un programme si chargé, âgé et malade, et donc nos réunions étaient toujours limitées. Enfin, ce soir, j'eu le temps de parler longuement avec mon Père ».

Il est important de ne pas oublier que l'âme est là, même si nous ne voyons que le corps mort de notre prochain, sa dépouille - le visage de la mort. L'homme est immortel. Vous vous en souvenez peut-être, quelqu'un est venu voir Abba Évagre, un ermite des premiers siècles chrétiens, et lui dit: «Abba, votre père est mort ». Et qu'est-ce qu'il a répondu? « Vous dites des blasphèmes! Mon père est immortel ». Si nous avions cette foi et cette conviction, nous aurions la capacité de vivre ces jours - entre la mort et l'enterrement - réconfortés, avec plus de calme, d’une manière plus chrétienne disons, pour le bénéfice de celui qui nous quitte, et pour notre propre bénéfice. Il est important d'apprendre à parler en silence, au-delà des mots, avec celui qui est en train de quitter cette vie, en faisant de l'amour qui nous unit à lui de l’énergie pour l’intercession vers Dieu. La plupart des personnes illuminées par le Saint-Esprit ont parlé du silence « parlant ». Les Saints Pères qui, lors de cette vie terrestre, ont eu un avant-goût du paradis, disent que le silence est le langage de l'âge à venir. Nous devons apprendre à garder la parole silencieuse, de prier sans paroles à côté du malade, ou près de celui qui s’est endormi dans le Seigneur.

Comme je l'ai dit lors du trépas de Madame Andrée, nous devons comprendre de la vie de ces aimés de Dieu - que dans Sa providence Il nous a fait connaitre personnellement – que le salut est à notre portée, que la pratique des vertus est pour nous tous, que la sainteté est la voie de tous. Il n’y a pas de contexte historique, politique ou tout autre qui empêche notre salut, notre cheminement vers Dieu. Nos choix sont ceux qui nous définissent, ceux qui nous construisent, ceux qui nous mènent aux cieux ou pas.

Après la dernière Divine Liturgie que j’ai concélébré avec le Père (avant son enterrement), un frère voulait me réconforter, en me disant qu’il ne faut pas être plus triste que nous devions l’être, parce que le Père nous a laissé un riche héritage. Et depuis ce mot résonne encore dans mon cœur et me nourrit. En effet, Père Silouane nous a donné tant : il nous a tout  donné !

(Père Ciprian Gradinaru, Homélie lors du Dimanche des Myrrophores 2015, une semaine après le trépas du Père Silouane Osseel).

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