Lettres d'Occident (2)

  • Posted on: 5 April 2017
  • By: delia

Annotations sur le Grand Carême

Pourquoi l’Église place-t-elle Le Carême avant toute grande fête, avant tout grand événement de l'année liturgique ? Parce que ce but, auquel nous tous aspirons, doit être le temps de la joie. Et nous savons tous que la joie, même dans les questions humaines, ne peut être atteinte que par un grand effort. Et plus l’effort est grand, plus grande est la joie. Nous savons tous, que ceux qui ont passé un examen après avoir triché, et sont ensuite allés boire un verre pour se détendre ressentent un mécontentement, c’est-à-dire une sorte de fatigue, quelque chose en nous qui nous disait que nous n’étions pas bien. Mais si l’on faisait un effort pour étudier et que l’on passait un examen, on sentait une joie qui remplissait le cœur. Mais ceci est seulement une image faible et pâle de ce qui devrait être l’effort qui précède la joie dans la vie spirituelle.

Le jeûne est une opportunité que Dieu me donne, d'une part pour m’inscrire dans le fleuve de l'Église, de la grâce de l’Église où, sans beaucoup d’efforts, sans grands défis, on est transporté vers la cible - qui est, pour le court terme -  de recevoir correctement la fête qui va arriver; pour le long terme, il s’agit de recevoir la joie infinie dans le ciel; et, d'autre part, c’est une façon très pratique pour tous les hommes, plus ou moins en bonne santé, et avec aussi peu de volonté, de pouvoir dire à Dieu: «Seigneur, moi aussi, j’y participe." Mais ceci est juste encore une autre perspective plutôt superficielle du jeûne, car le jeûne est beaucoup plus profond et beaucoup plus que cela, et c’est à ce type de compréhension que l’on doit essayer d’arriver, d’une année à l’autre, de s’efforcer à se développer, à se remplir de Dieu.

Pour obtenir la Grâce, on doit toujours avoir la vision d'un aigle (comme le dit saint Silouane), c’est-à-dire qu’il faut toujours voir plus haut et avoir une vue d’ensemble sur de la vie, sur tout ce que nous voulons faire dans cette vie et sur nos objectifs. Nous devons voir très clairement ces aspects. Et quand nous commençons à vivre avec cette compréhension, essayons de faire ce que nous disons dans les prières du soir et du matin,  «Aide nous, Seigneur, dans cette journée / cette soirée à nous garder sans péchés."

La plupart d'entre nous souffre du syndrome d’anxiété anticipatoire, qui nous trouble parce que on est tous le temps préoccupé de ce qui se passera demain ou après-demain.

Vivons aujourd'hui très attentivement ! Soyons aujourd'hui très concentrés pour vivre correctement. Au moins cette minute-ci, gardons-nous des pensées impures. La vie spirituelle est simple, on n’envisage ici que le jour présent.

Examinons-nous et voyons si nous pouvons rester une minute sans pécher. Il est difficile, mais c’est en partant de là que l’on doit commencer, il faut commencer à essayer de vivre sans péché, avec cette double vision, en ce moment-ci de faire attention, de prendre soin de soi-même, et à l'avenir de ne pas oublier où l’on veut arriver et ce que l’on souhaite acquérir dans cette vie.

La lutte de chacun de nous devrait être d'acquérir une unité de conscience, de ne pas être tellement dispersés entre la volonté de l’esprit, celle du cœur et les impulsions du corps; parce que, souvent, nous sommes déchirés en trois parties: l'esprit nous dit que ce gâteau est bon et je devrais prendre une pause pour le manger maintenant (l'esprit est rusé, en général, mais il sait ce qui est bon), le cœur me dit – absolument, le gâteau semble très bon et attrayant, je devrais le manger (le cœur est le lieu autour duquel tournent les passions et où naissent les mauvaises pensées, souvent), et les glandes salivaires commencent à réagir et elles me poussent à manger, peu importe les moyens. Mais encore une fois, c’est l'esprit que nous devons éduquer à dire non, parce que, dans le cas contraire, nous perdons la grâce de la prière. La grâce est attirée par l'homme quand le cœur est brisé, lorsque l'homme lutte pour s’humilier. Et alors, l'homme devient sensible à la réponse de la grâce de Dieu et la vie de l’homme devient unie.

Lorsque l’on jeûne et que l’on s’affaiblit pour cette raison, on devient facilement la cible des tentations de l'ennemi. Mais ceci est un bon signe, cela signifie que l'ennemi n'aime pas ce que nous faisons et alors il nous attaque.

Si nous ne voyons pas le but de ce que nous faisons, cela ne vaut rien. Si ma prière ne vise pas quelque chose de clairement défini et que je continue seulement à bavarder comme un moulin à paroles pendant 15 minutes, c’est complètement inutile, ce n'est pas gratifiant du tout. Si je ne cherche, pendant le jeûne, à me rapprocher de Dieu, à acquérir l'amour, à me rapprocher de la Mère de Dieu, pour gagner plus de zèle et plus d'amour de Dieu, si je n’essaie pas de surmonter la tentation avec cet homme-ci qui m’irrite, si je m’efforce de jeûner seulement parce qu’il le faut et parce que l'Église me le dit, je n’accomplis rien le jeûne même ne sera pas ce qu'il est censé être, et je vais le rater sans même le savoir. Je serai heureux comme l'haltérophile qui fait cinquante exercices: «Je suis un chrétien en forme, quarante jours sont passés, et je n'ai pas mangé même une seule goutte de lait." Et alors, dans la conscience de notre esprit, le jeûne passera sans avoir aucune valeur.

Le jeûne est une lutte contre les passions. Pendant le jeûne, la patience, particulièrement, est testée. Si l’on se décide à jeûner, comme ce jour devient-il précieux en le vivant comme il faut! C’est l'attente qui nous nous fait revivre d'une manière incompréhensible !

Pendant le jeûne, nous vivons une tension, une grâce spéciale, puis la fête arrive, on mange après la Liturgie, et la lumière commence déjà à s’estomper, on mange encore au déjeuner et tout a pris fin, si nous ne faisons pas attention. Nous vivons cette culture ascétique, de joie, mais nous ne sommes plus capable de garder la joie, et c’est pourquoi nous la perdons si facilement. La grâce et la joie sont dispersées parce que nous ne sommes pas capables de maintenir aussi la tension de la joie. Le jeûne doit être poursuivi aussi après la fête, c’est-à-dire rentrer chez soi et goûter un peu de tout et dire «Gloire à Toi, ô Seigneur, pour m’avoir aidé de vivre cette fête» et ainsi, la joie peut être prolongée aussi après la fin du jeûne.

Ce qui est relatif à la renonciation de la chair représente seulement le début du jeûne. Notre lutte doit être dirigée vers l’intérieur, les profondeurs du cœur.

Avant le début du jeûne, chacun devrait prier Dieu de donner à son père spirituel une pensée à suivre et sur laquelle se concentrer pendant le jeûne qui vient de commencer.

Qu’est-ce qui rend la vie chrétienne différente de la vie du reste du monde? C’est le fait que nous rejetons la douceur des passions pour célébrer Dieu ensemble .

Vous sentez que - si vous ne succombez pas maintenant à une telle passion - vous mourez? La réponse est simple, mourez! Et c’est donc l’homme ancien, un homme gouverné par le péché, qui meurt, et l’on ne regrettera pas si celui-ci est brisé. Dans de tels moments, notre corps et notre esprit sont nettoyés, ils renaissent et nous acquérons la capacité de nous maîtriser, non pour le jeûne en tant que but en soi, mais pour la domination de l'esprit.

Quand l’homme se connaît lui-même et a acquis la maîtrise de son esprit, comme le skieur, il fait élégamment du slalom à travers les tentations, vers sa cible, qui est le Christ

Quand l'homme cultive son esprit pour rejeter toutes les passions, de sorte qu'il n'est plus lié à l'impulsion de la passion, alors la passion meurt.

Quand l'esprit s’élève, Dieu permet la tentation charnelle pour qu'il soit humble, pour que l'homme puisse se rappeler qu’il est l'esclave des passions les plus basses.

Nous commençons à devenir libres et de vrais chrétiens quand on accepte le qualificatif de « fous ».

Notre zèle va grandir en pensant que des centaines de millions de chrétiens vont jeûner et que nous ne sommes pas seuls, que nous ne sommes pas hors de la sphère de la normalité, comme nous sommes souvent accusés de l’être.

Lorsque c’est la semaine des laitages, par exemple, ou quand il y a seulement quelques jours jusqu’au début du jeûne, saint Jean Chrysostome nous enseigne de ne pas faire comme les païens, qui avaient encore une semaine jusqu’au moment d’être emprisonnés et faisaient tout ce qu'ils voulaient, parce qu’ensuite ils ne le pouvaient plus : "faisons la fête maintenant, parce que vient ensuite le jeûne, le trouble, et l’on va soupirer après tout cela." Si nous cherchons à prier Dieu de nous aider à comprendre ce que le jeûne signifie, on parviendra à l’attendre impatiemment.

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